Tsanfleron. Voilà un drôle de nom pour désigner le glacier du massif des Diablerets. Un nom ancien, en patois, qui parle d'un "champ en fleurs" alors que tout n'est que glaces, crevasses et pierres pourries.
C'est un thème courant dans les légendes alpines. Avant les glaciers, les Alpes offraient des pâturages riches et accueillants, un éden entre ciel et terre. Les vaches qui y paissaient alors donnaient du lait d'une qualité inimaginable. Elles en produisaient tant qu'on en remplissait des lacs entiers et que les meules de fromage étaient presque aussi imposantes que les roches qui soutiennent encore aujourd'hui les cimes.
Mais ce paradis s'est perdu. Le froid s'est installé, les fleurs, les abeilles et les bêtes ont fui vers les plaines. Et la glace s'est installée. Les cycles plus ou moins réguliers de mini-périodes glaciaires peuvent expliquer ce flux et reflux des glaces sur les montagnes. Pour le pâtre pétri de croyances chrétiennes, cependant, l'inclinaison de la terre sur son axe ou l'activité solaire n’y sont pour rien. Si on le prive de son pâturage, si on lui retire sa richesse et on le contraint à l'effort, alors c'est Dieu et son châtiment qui sont à l'oeuvre.
Naissent ainsi des légendes liées aux glaciers. Ces étendues froides seraient un purgatoire pour les damnés. On y rencontre souvent des âmes errantes cherchant leur chemin dans ce désert. Des chapelles et des processions sont menées pour stopper l'avancée de la langue blanche du diable dans la vallée. On est bien loin du Champs-Fleuri perdu.
Ramuz a puisé dans cet imaginaire pour nourrir ses récits*. L'influence des glaciers dans l'imaginaire alpin a pu s'appuyer sur des chefs-d'œuvre littéraires pour imprégner notre vision de la montagne et ses mystères. Si on remonte le fil de la rivière, du torrent jusqu'à sa source, il est fort à parier qu'on se retrouve nez à nez avec une imposante masse de glace.
Source de légendes et de magies aux eaux souterraines s'infiltrant et nourrissant tout, le glacier est tout désigné pour incarner le mystère. Ancré dans nos traditions et nos paysages, le glacier est partout, mais reste inaccessible. Parfait! C'est le lieu idéal autour duquel fédérer les légendes qui ont coulé jusque dans nos vallées, nos forêts et nos lacs aux pieds des Alpes. Voici en quelques mots comment j'ai imaginé donner une once de cohérence entre les différents récits fabuleux qui imprègnent de magie les événements historiques des Guerres de Bourgognes dans le roman "Corps-Francs".
Je suis donc toujours intéressé à connaître plus de légendes sur les glaciers et la montagne, et tout le bestiaire imaginaire qui en découle. Entre Guivre et Dahu, il y a de quoi faire! Si vous en connaissez une, dites-le-moi dans les commentaires! J'en ferai peut-être toute une histoire!
*BERNEY Jérôme, « La Grande Peur dans la montagne de C. F. Ramuz ou la naissance d'une légende », A contrario, 2006/1 (Vol. 4), p. 53-70. DOI : 10.3917/aco.041.70. URL : https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2006-1-page-53.htm
Le glacier, source de légendes