Écrire a toujours été au centre de mon activité. A l’université, j’ai étudié, recherché puis écrit. Pour les médias, j’ai rencontré, enquêté puis écrit. Entre amis, j’ai scénarisé, écrit puis joué. Je suis à l’aise avec ma plume et je pense connaître mes forces et mes faiblesses. Et là, j’écris un roman, et je suis perdu.
Je me rends compte, face à mon roman en progression, que je n’avais jamais écrit. J’avais compilé, j’ai synthétisé, j’ai reformulé, adapté, traduit, transcrit. J’ai usé ma plume de mille manières. Mais, donner vie à un roman, c’est nouveau.
J’ai déjà utilisé ma plume pour créer. J’ai écrit sous le coup de l’émotion ou par inspiration. Rainer Maria Rilk*e dans sa correspondance (Lettres à un jeune poète) affirme qu’un journaliste ne pourra jamais être poète. Ça m'a fait un coup. Récemment, dans une master classe, Bernard Werber annonce que selon lui, un poète, qui travaillerait par pure inspiration, ne pourrait pas être romancier. Nouvelle baffe, nouvelle prise de conscience. Chacun défend son église, mais, avant de me mettre moi-même à l’ouvrage, je prends conscience que je n’avais pas compris ces disputes autour de l’art de la plume.
Pour créer une histoire, il faut de l’imagination, des rebondissements, une structure narrative, des personnages attachants. Mais, même avec tout ça, on n’a toujours pas l’ombre d’une page de l’histoire. Pour créer, il faut écrire. Dérouler le fil d’une histoire. Et là on a une histoire, du matériel nouveau et parfois original. Mais on n’a toujours pas de roman. On a une histoire, un premier fil déroulé.
Ecrire un roman, c’est dérouler ce fil, une fois, deux fois, puis encore et encore. C’est prendre bonne note de chacune de ces itérations, et recommencer. Puis, enfin, les compiler, les synthétiser, les reformuler, les adapter, traduire et transcrire. Dans cette aventure, je ne pars pas de zéro. Je n’ai pas tout à apprendre de A à Z. Si le journaliste croise les sources pour agencer les lettres au plus près de la réalité et que le poète s'inspire de la musicalité des graphèmes, le romancier déroule, file et refile l'alphabet de A à Z jusqu'à ce que l'histoire tienne debout du début à la fin. Il ne reste qu'à se mettre à l'ouvrage.
*Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, 1929. A lire ici
Dérouler le fil et écrire